Le 11 septembre, va avoir lieu à Nairobi une nouvelle rencontre afin de tenter de trouver une issue au conflit qui déchire le Soudan et évoquer le rôle que peut y jouer la communauté internationale. Co-organisé par le centre maghrébin et africain des médias, la Fondation Amina Live et la Fondation Kofi Annan à Nairobi, l’événement est présidé par l’ambassadrice Amina Mohamed, ancienne ministre des Affaires étrangères du Kenya, et Mongi Hamdi, qui fut le chef de la diplomatie tunisienne entre 2014 et 2015, puis le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali.
Parmi les intervenants, sont attendus plusieurs ambassadeurs au Kenya, des représentants d’organisations régionales et d’ONG, d’anciens ministres et diplomates soudanais et sud-soudanais, l’ancien représentant ou encore le représentant de Somoud (alliance des hautes personnalités Soudanaises indépendantes). Mais aucune des parties au conflit, les organisateurs les ayant délibérément écartées des discussion à ce stade. Pour Jeune Afrique, celui-ci revient sur la situation actuelle au Soudan, et sur ce qui pourrait émerger lors de la rencontre de Nairobi.
Jeune Afrique : Le conflit au Soudan dure malheureusement depuis longtemps, pourquoi mettre l’accent sur le sujet précisément aujourd’hui ?
Mongi Hamdi : Cette guerre tragique entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide soudanaises (FSR) est entrée dans une phase critique. Des milliers de civils ont été tués, des millions d’autres déplacés, et la famine menace de vastes zones sans qu’aucune fin ne soit en vue face à la violence généralisée. Ce conflit brutal a également déclenché une vague d’atrocités, notamment des crimes de guerre, des massacres, des violences sexuelles de masse et même l’utilisation d’armes chimiques par les FAS.
Et le conflit semble s’enliser…
En effet, mais cette guerre ne peut perdurer. Aucune des deux parties ne peut remporter une victoire militaire décisive et plus elle perdure, plus les souffrances et le risque de déstabilisation régionale sont grands. Le Soudan est limitrophe d’États fragiles qui pourraient être entraînés dans le conflit, ce qui entraînerait une catastrophe humanitaire et sécuritaire plus vaste dans toute la région.
Alors que les pays accordant l’asile aux réfugiés soudanais restent ouverts, les services aux populations frontalières sont surchargés et insuffisamment desservis pour les déplacés internes et les rapatriés d’autres conflits. Le conflit soudanais ne se déroule pas isolément dans la région : il se superpose à d’autres conflits qui provoquent des déplacements de population à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Le risque de prolongation du conflit est aggravé par le déclenchement possible d’une guerre par procuration au Soudan entre des États et des groupes armés non étatiques, opérant depuis et au-delà de la Corne de l’Afrique. Le trafic d’armes et d’êtres humains est également en hausse.
Que peut faire la communauté internationale ?
Le plus alarmant est l’absence d’engagement international soutenu. Plusieurs initiatives de paix – menées à Djeddah, Genève, Londres et Manama – ont échoué, non seulement en raison du manque d’engagement des parties belligérantes, mais aussi du refus d’autres forces politiques liées à l’ancien régime qui soutiennent les FAS de mettre fin à la guerre par des moyens pacifiques. La communauté internationale doit agir avec détermination.
Les Nations unies, l’Union africaine et l’Union européenne, et aussi les États-Unis, doivent prendre des mesures urgentes et coordonnées pour faire pression sur les deux parties et notamment sur les Forces armées soudanaises afin qu’elles concluent un cessez-le-feu immédiat et forcent la reprise des négociations. Sans une telle intervention, la crise soudanaise ne fera que s’aggraver, et le monde portera la honte de son indifférence. L’initiative récemment annoncée par les États-Unis visant à mettre fin à cette guerre tragique par des négociations pacifiques est un pas bienvenu, qui va dans la bonne direction.
Quels sont les sujets que vous souhaiteriez voir abordés lors de cette rencontre ?
Il serait souhaitable de discuter de l’incidence de la guerre au Soudan sur la paix et la stabilité régionales, avec un accent particulier sur les flux migratoires et la sécurité transfrontalière, d’examiner le risque d’extrémisme et de terrorisme alimenté par la violence et la déstabilisation persistantes. Il faudrait également revenir sur les facteurs expliquant l’échec des initiatives passées visant à instaurer un cessez-le-feu et à mettre fin à la guerre par des négociations pacifiques. Et s’interroger sur les raisons qui font que les forces armées soudanaises et les parties qui leur sont associées continuent de rejeter les négociations pacifiques avec les Forces de soutien rapide soudanaises ?
Les intervenants pourront aussi évaluer les conséquences dévastatrices du conflit au Soudan sur les civils, les infrastructures et la stabilité régionale, en attirant l’attention sur les besoins humanitaires urgents, notamment les déplacements, l’insécurité alimentaire et les crises sanitaires. L’escalade des crises humanitaires : famine, urgences sanitaires, migrations, implication d’acteurs extérieurs dans le conflit et potentielle montée du terrorisme seront quelques-uns des points clés abordés.
Quel retour escomptez-vous à l’issue de cet événement ?
Une meilleure sensibilisation des médias internationaux et des parties concernées par les multiples répercussions du conflit soudanais. L’objectif est une meilleure coopération pour prévenir la propagation de la violence et des menaces à la sécurité et soutenir l’initiative récemment annoncée par les États-Unis visant à faire pression sur les parties belligérantes afin qu’elles négocient un règlement pacifique durable de la crise. Avec, parallèlement, des engagements renforcés en faveur des efforts humanitaires et de consolidation de la paix.
Cela suppose de poser des conditions aux parties en conflit. Lesquelles ?
Il s’agit d’exiger que l’armée soudanaise s’assoie à la table des négociations, qu’elle cesse de prôner une solution militaire et de rejeter les initiatives pacifiques, d’autant que l’armée a toujours rejeté toute proposition politique et n’a présenté aucune initiative de solution politique. Dans la même dynamique, elle écarte tout gouvernement civil et le processus menant à l’élection présidentielle. Son discours incendiaire vise la défaite militaire des Forces de soutien rapide.
L’une des difficultés est de contourner l’accord de Juba et la perte d’autorité légitime du Conseil de souveraineté à la suite du coup d’État contre le gouvernement civil, en 2021. Il faudra également tenir compte de la confirmation apportée par les États-Unis quant à l’utilisation d’armes chimiques par l’armée soudanaise.
L’armée empêche donc de trouver une issue à ce conflit ?
L’armée s’accroche au pouvoir qu’elle refuse de céder aux civils et continue de contourner toute initiative qui pourrait l’éloigner de cette position. Si l’armée était sincère dans ses efforts pour protéger le Soudan, elle aurait formé un conseil présidentiel civil, cédé le pouvoir et serait restée la protectrice du pays.